mercredi 18 mars 2015

par la Rédaction   Pas de commentaire

            Une fois n'est pas coutume, nous allons parler de musique. Mais pas de n'importe quelle musique. Nous ne parlerons pas de genres reconnaissables comme le jazz, le rock, le rap ou encore la dubstep ( quoique pour cette dernière, l'appellation « musique » est plus que flatteuse ). Non, nous allons parler de cette petite musique indiscible que nous entendons inconsciemment à la télévision, à la radio, dans les journaux, sur Internet etc... Elle n'a pas de nom proprement définie, ce qui nous empêche de l'entendre distinctement. Tantôt on l'appelle «  propagande », ou « marketing » ou « publicité » ou alors « communication ». Dans cet article, qui comportera des suites, nous allons apprendre à l'écouter au lieu de l'entendre, à la reconnaître, et aussi, pourquoi pas, à en jouer.



  1) Premièrement, le tempo !!!

            La musique est un art qui consiste à combiner les sons et les silences au cours du temps. Le support de cette combinaison au cours du temps est le rythme, la hauteur est celle de cette combinaison dans les fréquences, la note de musique étant le symbole représentant la hauteur et la durée d'un son.

            Dans le cas qui nous intéresse, on va d'abord commencer par parler de bruit, du bruit médiatique pour être plus précis. D'après Jean- Luc Mano, conseiller en communication multicartes (et chargé notamment de celle de Nathalie Kosciusko-Morizet  pendant sa campagne des municipales de Paris), l'art de la communication réside dans la capacité à émettre un son audible dans le brouhaha. Dans le cas d'une crise ou d'une affaire gênante, il faut s'assurer que sa version des faits soit entendue et pour cela, il faut suivre le rythme du bruit médiatique et parler au bon moment. C'est à cela que sert l'UBM ( l'unité de bruit médiatique ).

            L'UBM est une unité servant à mesurer l'exposition médiatique d'une personnalité, d'une marque, d'une affaire... 1 UBM, c'est quand 1% de la population est exposé à l'information une fois, donc à 100 UBM on estime que 100 % de la population a été exposée une fois à l'information, autrement dit, l'info a été diffusé partout, sur toutes les chaines de télé, sur toutes les radios, sur la une des journaux etc... A partir de 300 UBM par exemple, on estime que 100% population a été exposée au moins 3 fois à l'information.

            Comme l'explique bien Hugues Le Bret, ex-directeur de la communication à la Société Générale au moment de l'affaire Kerviel, dans toute communication, il est nécessaire de se fixer des objectifs, notamment vis-à-vis de l'UBM. Dans le cas par exemple d'une élection, il est primordial de faire parler de sa personne en bien, donc il va falloir booster l'UBM autour de sa personne et dans un cadre positif pour rendre inaudibles ses adversaires, dans le cas d'un scandale public, il sera plus judicieux de réduire l'UBM autour de l'affaire avant de contre attaquer. Ce qu'il faut absolument éviter, c'est le brouhaha, car là on ne contrôle plus l'information, on ne contrôle plus ce qui est dit et on ne peut plus avoir d'impact sur la suite des évènements. Hugues Le Bret définit la grande difficulté de la communication par la capacité «  d'arriver à gérer des silences et d'arriver à les imposer, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut parler. Ça veut dire qu'il faut parler avec un certain tempo et il faut réussir à dominer le tempo. »

            Ainsi, le bon communiquant tel un chef d'orchestre, sait quand le soliste doit jouer du pipeau, quand l'orchestre doit le suivre à la clarinette, à quel moment sortir les violons etc... ce qui suppose bien entendu de bien savoir manipuler les médias, comme en profitant du flux d'actualité continu et en cessant tout communiqué, pour diminuer l'intérêt des gens pour le dossier, si l'objectif est la baisse du l'UBM. Ou alors profitez de certaines de ses «  amitiés » dans la presse pour bien apparaître à la une au moment opportun et avoir un maximum d'UBM sur l'info que l'on choisit de filtrer.

            Le rythme étant très important, le séquençage médiatique est indispensable. Il faut laisser croire à un récit cohérent qui lève toute suspicion et pour cela, il est nécessaire quelquefois d'attendre que les journalistes fassent monter l'attente (par exemple en fuitant des infos) pour qu'ensuite la révélation ait l'effet escompté.



2)La composition du thème...

            On a vu plus haut que l'art de la musique consiste à alterner les sons et les silences. Tout est question de rythme. A partir de quelques notes, on compose un thème. Comme par définition, celui-ci va se répéter et être mémorisé. Inlassablement réinterprété le thème sert à alimenter le dessein de la mélodie. En communication, on appelle ça l'élément de langage.

            Un cas pratique pour éclaircir tout ça. Depuis décembre 2012, des employés de magasins de bricolage, manifestent bruyamment pour leur droit à travailler le dimanche. Ce qui pourrait passer pour un mouvement social spontané est en réalité un mouvement d'influence généré par les directeurs de magasins de bricolage. Pour preuve, les salariés n'étaient pas grévistes, ils étaient même payés par la direction de Leroy Merlin et de Castorama.
           
            L'objectif des deux enseignes était simple, il était de faire changer la loi sur le travail dominical. D'après Stéphane Attal, le communicant engagé par les deux grandes chaînes de magasins, le dimanche représentait 20 à 25% du chiffre d'affaires. Dans une société démocratique, théoriquement, les entreprises ne peuvent pas prendre l'initiative de proposer des lois, en revanche la population le peut. Il faut donc donner l'illusion d'une revendication sociale. Et c'est là qu'on en arrive à composer le thème.

            Les Ateliers Corporate, l'entreprise de stratégie en communication de Stéphane Attal, va réunir des salariés volontaires des deux entreprises et constituer des groupes de travail «  démocratiques ». Bien sur, ce n'est qu'une illusion seul le nom du mouvement a été décidé par les salariés, ( et encore Stéphane Attal reconnaît que le nom du mouvement « les bricoleurs du dimanche » a été créé à l’initiative de l'un des groupes mais ils sont « intervenus » pour que ce nom soit adopté par les autres),  tout le reste : le discours et les slogans a habilement été décidés par le communicant. Le slogan « yes week end » aurait été chuchoté à quelques salariés avant qu'il ne soit adopté par le mouvement. Ainsi les salariés ont l'impression d'avoir impulsé d'eux mêmes un mouvement voulu par le patronat. C'est à ce moment qu'interviennent les éléments de langages.



3)Le choix des notes.

            Les éléments de langages sont des expressions ou des mots-clés qui doivent être constamment répétés dans le discours afin d'être repris par les journalistes. L'objectif est d'imposer son propre vocabulaire dans les médias. Débordés par le flux d'informations, les journalistes n'hésitent pas à reprendre des bouts de phrases de communiqués officiels, pour preuve regardez les titres étrangement similaires des articles détaillant des comptes rendus de conférence de presse et de communiqué officiels.










Nous pensons et comprenons par les mots et les signes ( images, sons, etc...) donc contrôler le champ lexical dans une discussion quelconque est un moyen de limiter la pensée de son détracteur.



            Si nous reprenons les cas des « Travailleurs du dimanche », les éléments de langage étaient « volontariat », « majoration de salaire » et « repos compensateur ». Vous aurez noté que les termes choisis ne parlent que de la condition salariale. C'est pour évidemment occulter les intérêts patronaux dans cette histoire. Pourquoi ? Parce qu'il est beaucoup plus acceptable pour l'opinion que des réformes soient issues de revendications populaires. Et ainsi, la seule opposition possible ne pourra se faire que contre les salariés puisque les éléments de langage excluent les intérêts de l'entreprise. Maintenant, demandez vous pourquoi «  l'État Islamique en Irak et au Levant » est de venu « DAESH », pourquoi «  l'affaire de la Société Générale » est devenu « l'affaire Kerviel » et si vous me sortez : « parce que c'est plus court et plus simple », pourquoi « l'affaire Findus » est devenu « l'affaire de la viande de cheval » ?

            Résultat: Après un an de combat médiatique, le gouvernement promet une refonte de la loi, permettant le travail sur 12 dimanche dans l'année au lieu de 5. Pour les travailleurs du dimanche, ce n'est pas une « victoire » ou un « triomphe » mais un « soulagement » et une « avancée » (ÉLÉMENTS DE LANGAGE!!!!!!!!!!). Ainsi les intérêts privés de quelques entreprises se sont changés en sujet de société. Stéphane Attal n'a qu'un seul regret : de ne pas avoir négocié une prime de réussite. Eh oui, on peut pas être bon partout !!!


4) De la musique, oui, mais pour quel public ?


            Pourquoi avoir besoin d'éléments de langage ? Pourquoi communiquer au public alors que l'on pourrait faire lobbying en privé ? N’est-il pas plus judicieux de garder sa partition confidentielle ? A cela je réponds non, les conflits se règlent avec les armes et l'arme principale du communicant c’est ce que l'on appelle de manière assez confuse et abusive l'opinion publique.

            D'après Yves-Paul Robert, publicitaire, expert en réputation chez HAVAS, 6ème groupe mondial en communication et publicité (http://www.dailymotion.com/video/x1u8i9i_jeu-d-influences-les-strateges-de-la-communication-les-crises_webcam), les stratégies des communicants partent de deux présupposés qui sont :
-L'opinion publique est inarrêtable
-L'opinion publique donne l'avantage dans les négociations.

            Vous n’êtes pas convaincu ? Retour en 2011 avec « l'affaire des avertisseurs de radars ».A la suite d’une augmentation de 13% de morts sur la route, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Guéant soumet un projet de loi visant à interdire les appareils avertisseurs de radars, menaçant ainsi toutes les sociétés fabriquant ces produits.

            Comme l'argument de la sauvegarde d'un marché ne marche jamais en ce qui concerne le vote des lois ( sinon le cannabis serait devenu légal depuis très longtemps), la seule option pour ces entreprises était de rendre cette loi impopulaire afin de faire plier le gouvernement.

            Les différentes entreprises se sont d'abord regroupés sous une fédération, L'AFFTAC (Association française des Fournisseurs et utilisateurs de Technologies d'Aide à la Conduite) avant d'organiser une conférence de presse pour appeler les automobilistes à se mobiliser contre cette loi. Bien sur, pour faire comprendre qu'il ne s'agissait pas de leur intérêt immédiat mais celui de tous, ils ont utilisé... non, je vais vous laisser deviner... ça y est, vous y êtes... OUI des éléments de langages !! ( si vous avez trouvé une autre réponse, relisez depuis le début, vous avez loupé quelque chose !!)

            Inutile de s'attarder là-dessus, le plus intéressant arrive après. Des automobilistes se sont effectivement mobilisés dans toute la France.  Les communicants ont alerté les journalistes sur celle de Marseille, assez massive. Ainsi lorsque les journaux ont parlé de cette mobilisation ( donc avec un UBM assez élevé ) ils ont tous parlé de la grande mobilisation à Marseille, tout en la désignant comme « l'une des nombreuses mobilisations dans toute la France », grossissant artificiellement la mobilisation qui certes, a eu lieu ailleurs en France, mais pas avec une telle ampleur.

            Peu après, les sondages ont commencé à s'exprimer et ont montré que la population était plutôt contre l'interdiction des avertisseurs de radars. Le rapport de force est installé. Comme nous l'avons vu plus tôt, le tempo est primordial, et c'est donc avec un UBM élevé donnant l'information suivante :  « Les Français sont contre le projet de loi » que les députés de la majorité UMP à l'époque ont reçu une lettre de cette fédération ( bien entendu, écrite par les communicants), leur indiquant le nombre d'utilisateurs de ces avertisseurs dans leur circonscriptions, et ce un an avant les législatives. Sous cette pression, et certainement soucieux du maintien de leur siège de l'intérêt général, certains de ces députés sont montés aux créneaux contre le gouvernement. Devant trouvé une solution pour se sortir de cette crise, le ministre dut négocier avec les fabricants d'avertisseurs et la solution, comme par magie, fut trouvé par les communicants. Les appareils vendus par ces entreprises ne seront plus des « avertisseurs de radars » mais des « outils d'aide à la conduite » avertissant de tous les dangers potentiels sur la route.

            Ainsi ils ne seraient plus interdits...bien qu'ils continuent à indiquer la position des radars !! Ce n'est pas une « sodomie bien en règle » mais un « arrangement à l'amiable » auquel a contribué l'opinion publique.(Vous voyez, c'est pas bien compliqué d'élaborer des éléments de langages). Une victoire pour la démocratie !

Sauf que... L'OPINION PUBLIQUE N'EXISTE PAS ! C'est pas moi qui le dit, c'est Pierre Bourdieu ! Le Saint Patron des sociologue français a défini l'opinion publique comme une invention pure et simple servant uniquement à légitimer des décisions politiques. Nous verrons cet analyse plus en détail dans un prochain article.

           

            La communication est l’instrument des hommes influents. Son bruit a la capacité de faire passer n'importe quel projet de loi ou imposer n'importe quel débat, si l’on apprend à composer une partition assez claire et cohérente pour qu'elle soit entendue. Nous verrons prochainement en abordant le storytelling, ou nous parlerons de sexe et de drogue dans un article plus rock'n'roll.


























LE SOCIOLOGUE
                       

           

            L'auteur de ces lignes est dans un bar, à finaliser son article « La politique est une musique orchestrale symphonique », quand pour fêter ça, il décide de prendre la pinte spéciale du bar, la « Bière pour Dieu ». Tout de suite après avoir commandé, un homme nu vient s'asseoir à sa table.

Samaël : (reconnaît Pierre Bourdieu, le célèbre sociologue) Pierre Bourdieu ?! Vous êtes vivant?!!

Pierre : ( tranquille) Tout dépend du sens que vous accordez à l'adjectif « vivant ». En tous les cas, votre raisonnement est pertinent.

Samaël : (les yeux rivés sur l'entrejambe, se demande comment on peut avoir un aussi gros...) Et pourquoi vous êtes tout nu un mois de février ?

Pierre : C'est une question de sens pratique.

Samaël : ( se dit que c'est pas mal comme réponse et qu'il la ressortira à ses voisins quand il le surprendront encore en train de faire son jogging à poil) Mais vous faites quoi, là ??

Pierre : (consultant l'article) : C'est un point de vue intéressant, mais vous semblez ignorer que l'opinion publique n'existe pas.

Note : À ce moment-là, l'auteur de cet article se demande de quoi se mêle ce connard nudiste mais Pierre continue.

Pierre : Je voudrais préciser d'abord que mon propos n'est pas de dénoncer de façon mécanique et facile les sondages d'opinion, mais de procéder à une analyse rigoureuse de leur fonctionnement et de leurs fonctions.*

Note: l'auteur de cet article se dit qu'il lui a rien demandé mais bon, il sort son stylo et se prépare à prendre des notes, on sait jamais.

Pierre : Toute enquête d'opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d'une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat. Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent. Je pense que l'on peut démontrer qu'il n'en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n'ont pas du tout la même force réelle conduit à produire des artefacts dépourvus de sens. Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posées. Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s'observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l'analyse des données.*

Samaël : (De la sueur coule sur son front pendant qu'il prend des notes) Ouais mais tout le monde sait que les sondages ne sont pas fiables, vu que les questions sont biaisées et les échantillons représentent que dalle !! (Dans ta gueule!!)

Pierre : (imperturbable) On fait très souvent aux sondages d'opinion des reproches techniques. Par exemple, on met en question la représentativité des échantillons. *( c'est plus ou moins ce que l'auteur de l'article vient de dire, paye ton sociologue !! )Je pense que dans l'état actuel des moyens utilisés par les offices de production de sondages, l'objection n'est guère fondée. On leur reproche aussi de poser des questions biaisées ou plutôt de biaiser les questions dans leur formulation : cela est déjà plus vrai et il arrive souvent que l'on induise la réponse à travers la façon de poser la question. Ainsi, par exemple, transgressant le précepte élémentaire de la construction d'un questionnaire qui exige qu'on « laisse leurs chances » à toutes les réponses possibles, on omet fréquemment dans les questions ou dans les réponses proposées une des options possibles, ou encore on propose plusieurs fois la même option sous des formulations différentes. Il y a toutes sortes de biais de ce type et il serait intéressant de s'interroger sur les conditions sociales d'apparition de ces biais.*

Samaël : ( se dit que Pierre enfonce des portes ouvertes) Oui, mais donc...

Pierre : (l'interrompt) La plupart du temps ils tiennent aux conditions (Ok, l'auteur peut aller se faire foutre avec sa question ) dans lesquelles travaillent les gens qui produisent les questionnaires. Mais ils tiennent surtout au fait que les problématiques que fabriquent les instituts de sondages d'opinion sont subordonnées à une demande d'un type particulier.

Samaël : (commence à être intrigué) De quel type ?

Pierre : ( imperturbable, encore !! ) Une analyse statistique sommaire des questions posées nous a fait voir que la grande majorité d'entre elles étaient directement liées aux préoccupations politiques du « personnel politique ». Si nous nous amusions ce soir à jouer aux petits papiers et si je vous disais d'écrire les cinq questions qui vous paraissent les plus importantes en matière d'enseignement, nous obtiendrions sûrement une liste très différente de celle que nous obtenons en relevant les questions qui ont été effectivement posées par les enquêtes d'opinion. La question : « Faut-il introduire la politique dans les lycées ? » (ou des variantes) a été posée très souvent, tandis que la question : « Faut-il modifier les programmes ? » ou « Faut-il modifier le mode de transmission des contenus ? » n'a que très rarement été posée. De même : « Faut-il recycler les enseignants ? ». Autant de questions qui sont très importantes, du moins dans une autre perspective.*

Samaël : ( fait craquer ses doigts et se prépare à écrire la suite qu'il perçoit comme prometteuse) Mais dans ce cas, pourquoi sonder des gens sur des sujets qui ne les intéressent pas ?

Pierre : (triomphant, il a réussi à faire monter le suspense c'te enfoiré) Les problématiques qui sont proposées par les sondages d'opinion sont subordonnées à des intérêts politiques, et cela commande très fortement à la fois la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des résultats. Le sondage d'opinion est, dans l'état actuel, un instrument d'action politique ; sa fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l'illusion qu'il existe une opinion publique comme sommation purement additive d'opinions individuelles ; à imposer l'idée qu'il existe quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou l'opinion moyenne. L'« opinion publique » qui est manifestée dans les premières pages de journaux sous la forme de pourcentages (60 % des Français sont favorables à...), cette opinion publique est un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l'état de l'opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu’il n’est rien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage.On sait que tout exercice de la force s'accompagne d'un discours visant à légitimer la force de celui qui l'exerce ; on peut même dire que le propre de tout rapport de force, c'est de n'avoir toute sa force que dans la mesure où il se dissimule comme tel.*

Samaël :( commence à avoir de la fumée sortant des oreilles à force de réfléchir et des ampoules à force de tout noter ) En gros, ce que vous voulez dire c'est …

Pierre : Bref, pour parler simplement (HALLELUJAH!!!!) l'homme politique est celui qui dit : « Dieu est avec nous ». L'équivalent de « Dieu est avec nous », c'est aujourd'hui « l'opinion publique est avec nous ». Tel est l'effet fondamental de l'enquête d'opinion : constituer l'idée qu'il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent ou la rendent possible.*

Samaël : Merci, c'est parfaitement clair.

Pierre : (infatigable pour un mort !!! ) Ayant dit au commencement ce que je voulais dire à la fin (Ok, nique ta mère, j'arrête d'écrire et je relirai mes notes, non mais oh!) je vais essayer d'indiquer très rapidement quelles sont les opérations par lesquelles on produit cet effet de consensus. La première opération, qui a pour point de départ le postulat selon lequel tout le monde doit avoir une opinion, consiste à ignorer les non-réponses. Par exemple vous demandez aux gens : « Êtes-vous favorable au gouvernement Pompidou ? » *

Samaël : Vous êtes au courant qu'il est mort ?

Pierre : (ignorant la remarque précédente) ...vous enregistrez 30 % de non-réponses, 20 % de oui, 50 % de non. Vous pouvez dire : la part des gens défavorables est supérieure à la part des gens favorables et puis il y a ce résidu de 30 %. Vous pouvez aussi recalculer les pourcentages favorables et défavorables en excluant les non-réponses. Ce simple choix est une opération théorique d'une importance fantastique sur laquelle je voudrais réfléchir avec vous.*

Samaël : (l'auteur cherche à s'échapper) Oui mais là je dois partir j'ai curling donc...

            À ce moment, une jeune et jolie serveuse vient à leur table et apostrophe Pierre sur sa tenue, ce à quoi il répond :

Pierre : ( avec le petit regard coquin en coin) Mademoiselle, vous savez que je suis l'auteur de « La Domination Masculine »

            Celle ci s'en va sans dire un mot, l'auteur de cet article a trouvé son dieu. Ému aux larmes, il envoie un grand check dans la main de Pierre avant de s'en aller décortiquer ses notes.

* Ces propos sont issus du texte de Pierre Bourdieu, L'Opinion publique n'existe pas. Exposé fait à Noroit (Arras) en janvier 1972 et paru dans Les temps modernes, 318, janvier 1973, pp. 1292-1309. Repris in Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, pp. 222-235. (http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html)